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QUELQUES CONCEPTS NARRATIFS

À venir avec Hexafor


  • du 20 au 21 juillet 2030

  • du 20 au 21 juillet 2030

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UN MODÈLE SYSTÉMIQUE

Ce modèle est issu des travaux de Michael White un travailleur social australien, et son collègue new zélandais David EPSTON.

Influencée par le courant systémique de Palo Alto (GREGORY BATESON – PAUL WATZLAWICK), cette pratique est relativement proche des approches centrées sur la solution (STEVE DE SHAZER – INSOO KIM BERG).

Encore méconnue dans le contexte du travail social en France cette approche donne une vision simple et optimiste des personnes et des relations humaines. Les travailleurs sociaux peuvent s'approprier des outils très simples directement applicables dans leur travail.

Nous vous proposons ici de découvrir quelques concepts narratifs majeurs sans rentrer dans les aspects trop techniques qui nécessitent de plus longs développements et un entraînement dans la durée.

 L’histoire dominante

C’est l’histoire racontée par la personne elle même, par son environnement, par les travailleurs sociaux, les professionnels de la santé, la justice, la police. Cette histoire met en lien un certain nombre d’événements dans la vie des gens qui ont tendance à donner une explication rationnelle à des dysfonctionnements. Cette histoire dominante fournit ce que nous appelons des « explications pauvres », dans la mesure où elle n’offre pas de perspective intéressante : « J’ai du mal à contrôler ma violence parce que j’ai été battu par mon beau-père »

Les histoires préférées

Il s’agit de mettre en lumière des événements dans la vie des gens qui n’ont pas été historiés : « Avec mon oncle par contre c’était plus cool, on allait à la pêche ». Avec cette histoire de pêche, on a plusieurs pistes pour construire des histoires préférées : « Qu’est-ce que tu appréciais quand tu allais à la pêche ? Qu’est-ce que tu appréciais chez ton oncle ? Qu’est-ce qu’il appréciait chez toi ? Qu’est-ce que ça a eu comme effet de vivre ces moments là avec ton oncle ?... ». Ces histoires produisent des explications riches, elles sont à l’origine de riches développements.

 
Le monde de la vie

Quand nous sommes dans le monde de la vie, nos actions vont dans le sens de nos intentions, c’est ce qu’on peut nommer : « être associé »,

Dans ce monde, nous sommes dans la coopération avec nous même : la tête et le corps fonctionnent ensemble et dans la coopération avec les autres : les relations sont vivantes.C’est le monde des histoires préférées et des riches développements.

 
Le monde de la survie

Quand nous sommes dans le monde de la survie, nos actions ne sont pas en lien avec nos intentions : nous sommes « dissociés », la tête et le corps ne fonctionnent pas ensemble.

Nous sommes dans la rivalité avec nous-même et avec les autres. Dans ce monde parfois post-traumatique, les intentions positives des autres ne sont pas perçues. Particulièrement les intentions des personnes qui veulent nous aider. Ce monde est sous l’emprise de l’histoire dominante et des explications pauvres.

 

 

STRATÉGIE D’INTERVENTION

Comment accompagner des personnes qui vivent de manière durable dans le monde de la survie ?

Nous proposons une stratégie en quatre étapes :

1) Rejoindre la personne dans le monde de la survie
2) Guider la personne vers le monde de la vie
3) Épaissir les histoires vivantes
4) Se retourner vers le monde de la survie
 
 

1) Rejoindre la personne dans le monde de la survie.

À ce stade, il s’agit simplement d’accepter et d’explorer le monde tel qu’il est vécu par la personne, tout jugement est inadapté, et toute forme d’espoir également : « Les choses sont difficiles, elle ne risquent pas de s’arranger… »

La reformulation, la synchronisation  non verbale, toutes les techniques qui peuvent contribuer au « rapport », à « l’empathie » sont les bienvenues.

 

2) Guider la personne vers le monde de la vie.

Différentes stratégies permettent à partir du monde de la survie d’accompagner les personnes vers la vie. On peut explorer le faire face : « Qu’est-ce qui vous aide à tenir le coup ? », les exceptions : « La dernière fois que ce n’était pas comme ça c’était quand ? » les valeurs : « En quoi tout cela est un problème pour vous ? »

 

3) Épaissir les histoires vivantes.

À partir des « fines traces de vie », on cherche à en savoir un peu plus : « C’est l’espoir de voir vos enfants grandir qui vous fait tenir, vous pouvez m’en dire un peu plus ? Qu’est-ce que vous appréciez chez eux ? Qu’est-ce que vous aimez vivre avec eux ? »

À ce stade, on cherche à mettre en relation les bons moments (exceptions), les valeurs et les intentions des gens, et leurs tiers sécures et reconnaissants : « Qui apprécierait que vous ayez ces espoirs ? »

 

Lorsque la personne est bien réassociée, lorsqu’elle est connectée à ses ressources et compétences, à ses valeurs et intentions, à ses tiers sécures et reconnaissants, lorsqu’elle a confiance en elle, alors elle peut regarder le problème avec de la distance et :

 

4) Se retourner vers le monde de la survie

N’étant plus enfermée dans le problème, elle peut alors envisager des choix différents : « Et maintenant, si vous regardez la situation dont nous parlions tout à l’heure, qu’est-ce qui devient possible ? »

En étant reconnecté à des expériences vivantes, les personnes ont confiance en elles, elles se sentent reconnues, elles peuvent réfléchir, elles ont accès à la créativité, elles sont susceptibles de créer de nouveaux choix.

 

 

CE QUI MAINTIENT DANS LE MONDE DE LA SURVIE

La recherche de la compréhension du problème

En cherchant à comprendre le problème, on néglige les aspects de la vie des gens qui contredisent l’histoire dominante, on fournit des explications pauvres, et souvent, on ne fait qu’épaissir l’histoire dominante. Ceci dit la recherche du problème est totalement légitime, quand on souffre, on veut savoir pourquoi, et parfois la recherche d’une cause est utile. Mais souvent les causes des problèmes sont multiples elles sont complexes, elles sont circulaires et mettre tout cela en lien ne fait qu’augmenter le niveau de désespoir des personnes et des intervenants.

Les définitions identitaires :

Le besoin de rationalisation conduit souvent les intervenants psycho-sociaux à des définitions construites sur le modèle des diagnostics médicaux. Les étiquettes de Pervers Narcissique, Homme Violent, Mère Castratrice, Délinquant, Jeune Psychotique ou plus modestement, Personnalité Colérique ou Anxieuse sont collées sur les gens et contribuent à la construction de définitions identitaires qui enferment les gens dans la pathologie, elles fournissent des explications pauvres et contribuent à la construction de l’histoire dominante.

La répétition des tentatives de solution inadaptées

En général lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes, les gens essayent de les régler. Souvent l’entourage intervient pour donner conseils et recommandations, prévenir de dangers, et quand cela marche, on n’en entend jamais parler. Mais lorsque des personnes sont coincées de manière durable dans la pathologie, c’est que les tentatives de solution de l’entourage (famille, proches, intervenants psycho-sociaux) n’ont pas marché. Mais pour autant elles n’ont pas cessé.

Avec leur volonté d’aider, avec les meilleures intentions du monde, les personnes de l’entourage répètent de différentes manières des conseils, des menaces, des encouragements, des mises en gardes, qui contribuent à aggraver les symptômes en installant de manière durable une ambiance de conflit et de rivalité, ce qui maintient la personne dans le monde de la survie là où elle se sent seule, isolée, déconnectée de ses ressources et où elle devient incapable de percevoir l’intention positive des personnes qui veulent l’aider.

Dans le monde de la survie on est entouré d’ennemis.

Demander aux gens de se calmer ou de se contrôler

Dans le monde de la survie, il y a de l’injustice. L’injustice conduit à la colère, la colère conduit aux actes violents.

Demander à quelqu’un qui est en colère de se calmer, c’est être dans le déni de l’injustice et cela a tendance à renforcer la colère.

En revanche, accepter l’existence de l’injustice c’est également admettre qu’il existe chez la personne quelque chose qui s’appelle « la justice », « le respect », ou autre chose.

La justice, le respect sont des choses qui existent dans le monde de la vie.

 

Essayer de convaincre les gens que leur problème n’est pas grave et que les solutions sont simples

Par exemple essayer de faire croire à des intervenants sociaux que quelques outils linguistiques et quelques stratégies d’entretien comme celles que je présente peuvent les aider, pourrait être perçu comme une totale ignorance de leur réalité de terrain et comme une disqualification par rapport à leurs compétences professionnelles.

 

 

COMMENT RECONNECTER DES EXPÉRIENCES VIVANTES

Rechercher les exceptions

Nous nous intéressons à tout ce qui n’est pas le problème. La dernière fois que le problème n’a pas eu lieu ou qu’il était moindre :

« Qu’est-ce qui fait que ce jour la tu n’a pas pété un câble et tout cassé ? »

« Comment as tu réussi au lieu de tout casser, à faire un pas en arrière ? »

«  Qu’est-ce qui t’a permis plutôt que de te battre, de te diriger vers la salle de sport ? »

«  Qu’est-ce qui s’est passé dans ta tête qui fait que tu n’as pas tout cassé ? »

Et plutôt que de re-re-raconter l’histoire familiale avec ses traumas successifs, la violence, les abus liés aux parents maltraitants, rechercher les tiers sécure et reconnaissant :

« Qui serait content et en même temps ne serait pas surpris et que tu aies réussi à maitriser la colère de cette manière ? »

L’externalisation des problèmes

La personne, c’est la personne, le problème, c’est le problème. La personne n’est pas le problème.

Cette idée est encore relativement admise, mais les habitudes linguistiques qui permettent de la rendre vivante, sont encore méconnues.

La première étape consiste à négocier une définition du problème acceptable pour la personne et pour les intervenants.

Plutôt que : « Vous êtes un parent maltraitant », on pourrait se mettre d’accord sur :

« Des fois c’est compliqué »,

« Comment ça se passe quand c’est compliqué ? »

« Ça barde ! »

« Quel nom on peut donner à ces moments où ça barde ? »

« Des coups de gueule »

« Qu’est-ce qui provoque ces coups de gueule ? »

« La colère c’est sûr, y’a la colère et je me met à gueuler ! »

 

« Quand la Colère est là, qu’est-ce qu’elle vous fait faire ? »

« Et la Colère, vous la laisser tout le temps faire »

 

Loin de déresponsabiliser les gens, les définitions externalisantes des problèmes contribuent à laisser de la place aux histoires vivantes (les exceptions) et à redonner du choix au gens. Ils sont alors plus enclins à reconnaître l’existence de problème.

En effet, un problème qui occupe toute la place n’en est pas un puisque rien d’autre n’est possible. Pour accepter l’existence d’un problème il est nécessaire d’être connecté à « ce qui n’est pas le problème ». C’est une question de contraste

 

Faire quelque chose de différent, radicalement différent

Plutôt que de répéter ce qui ne marche pas, faire l’inverse, plutôt que faire croire que l’on sait, admettre qu’on ne sait pas, plutôt que d’encourager, montrer que l’on perd l’espoir :

« Je vois bien que ce que je fais ne sert à rien, en fait peut-être que les choses ne peuvent pas s’arranger »

« Je vous donne des conseils idiots parce que je ne suis pas conscient de l’importance de vos problèmes »

Il s’agit du modèle de Palo Alto, qui peut être stratégique, mais dont le but comme nous le percevons est de mettre fin à la répétition des tentatives de solution qui ne marchent pas pour cesser d’être dans la rivalité et retrouver une relation de coopération pour être dans la vie.

 

Explorer l’absent mais implicite

Ce concept nous dit que si quelque chose est perçu comme étant un problème, c’est qu’une autre chose existe qui n’est pas le problème.

C’est un concept particulièrement utile quand les personnes sont en colère, ou lorsqu’elles sont passées à l’acte.

La colère est souvent en lien avec l’injustice, le manque de respect, la maltraitance.

Comme nous l’avons vu plus haut, essayer de calmer les gens dans ce contexte renforce la colère. Au lieu de cela nous pouvons rechercher ce que la colère nous apprend sur ce à quoi les gens accordent de la valeur :

« Votre colère dit non à quoi ? »

                       « À l’injustice ! »

« Votre colère dit oui à quoi ? »

                       « Ben à la justice sans doute ? »

« La justice, c’est important pour vous ? »

« Est-ce que vous pensez que les gens devraient être davantage attentifs à la justice ? »

« Est-ce que vous pensez que le monde tournerait mieux si l’on se souciait de la justice ? »

« Est-ce que cela vous ait déjà arrivé de partager vos espoirs de justice ? »

 

Au travers de ces différents concepts et des techniques afférentes, les intervenants sociaux apprennent à percevoir leur client (usager ou bénéficiaire…) comme un sujet éthique, c’est à dire comme un sujet qui agit en relation avec ses intentions et ses valeurs.

Lorsque la personne est en relation avec la violence, la maltraitance, la délinquance, c’est simplement parce qu’elle est happée par le monde de la survie et par son histoire dominante et qu’elle est coupée de ses intentions et valeurs.

Personne ne recherche intentionnellement la rivalité et l’isolement, tout le monde recherche la coopération et la reconnaissance.

La rivalité, le conflit, l’isolement arrivent quand la vie est saturée par les problèmes.

En étant en quête des fines traces de vie, les intervenants peuvent rétablir les processus de coopération et se connecter à ce qu’il y a de meilleur chez les personnes qu’ils accompagnent.

Bertrand Hénot

 

Juillet 2014